Sarnac 1974: lettre de Jeff à JP
… autour de mai/ juin 1974, nous nous sommes tous installés en Ariège … en communauté … 38 ans plus tard je découvre dans mes archives cette vieille lettre que Jeff peu après a écit à JP. Voici un bref coup d’oeil sur notre vie en été 1974:
Toulouse, le 10 septembre 1974:
Mon “vieux” JP,
Comme toi solitaire pour quelque temps, dans une chambre d’hôtel assez folklo de la banlieue toulousaine, je pense à Sarnac, de loin, après mes journées de boulot tu(ant et) m’endormant, c’est ta pensée qui tourne dans ma tête, et je couche sur le papier quelques préoccupations qui nous concernent, toi, moi, le groupe …
D’abord je ressens comme un coup dur les derniers évènements qui ont marqué notre vie “communautaire”, c’est l’affrontement d’un groupe de sages contre un groupe de fous, les uns vivant la sagesse par volonté, les autres vivant la folie par tempérament et par goût, ce qui est une autre forme de sagesse. C’est l’affrontement de deux conceptions de priorités, de l’ordre contre le désordre, de la ponctualité contre la spontanéité et le dispersement, de la prévoyance contre l’opportunisme. Je l’ai déjà vécu, il y a un lustre, dans la même situation d’accusation et de sentiment d’être dépassé par les exigences de ceux qui m’aimaient pourtant (où croyaient m’aimer).
Pour te situer plus précisément l’histoire, il s’agissait de ma première fiancée, une fille un peu comme Françoise, active, volontaire, passionnelle, idéaliste et réaliste à la fois, exigeante pour elle même et aussi pour les autres, anxieuse, lente à se fâcher, mais capable de resservir des mois après des rancoeurs qu’elle n’avait su enterrer, de faire des réquisitions à vous faire cacher six pieds sous terre.
Bref, notre entente s’est troublée dés qu’elle à constaté que ma ponctualité laissait à désirer, que ma volonté n’était pas aussi organisée que la sienne, que mes désirs n’étaient pas aussi impérieux qu’elle eût souhaité, qu’elle ne pouvait se reposer sur ma ferme détermination à porter culotte, qu’elle devait penser à ma place à des détails matériels d’organisation, d’assurance, de formalités etc. … tu vois, la ressemblance est assez bonne pour que je me sente concerné par ce que tu vis, et les tiens dans une certaine mesure aussi.
Ne vas pas en déduire que je pense qu’il faille donner à ces affrontements le même dénouement qu’à mes ex-fiançailles, car il y a heureusement une différence entre vie de couple et celle d’une communauté. Cependant, pour être surmonté positivement, ce conflit doit être examiné en face, et traité de part et d’autre avec la plus fraternelle compréhension. Il y a des efforts à faire de part et d’autre.
Il faut placer aussi le problème dans les circonstances qui l’ont provoqué: la communauté est dans une période de démarrage et elle s’est fixé des urgences de travail démesurées. Nous menons de front l’adaptation à de nouvelles conditions de vie, à de nouvelles occupations, à de nouvelles personnes. Les échéances à tenir sont un facteur de tension et d’angoisse pour certains. Les finances très limitées en sont un autre. L’incertitude de notre devenir en est un troisième. Quoi d’étonnant que dans ces conditions à ce que le comportement des uns comme des autres soit source de malaise, soit parce qu’il est trop contraignant, soit parce qu’il semble faire obstacle aux buts immédiats du groupe.
Ce n’est pourtant pas le moment de s’affoler, de se meurtrir mutuellement, même avec les meilleures intentions du monde.
Pour en revenir à mon expérience d’échec pré-conjugal, il est un fait que j’ai eu un méchant passage à vide à l’occasion de cette remise en cause de moi-même, car je doutais de ma capacité à mener à bien mes projets, je doutais de ma volonté, de ma faculté d’insertion dans un milieu de travail et de mes chances de fonder un foyer viable. Une psychothérapie de quelques mois, que j’ai eu la chance de suivre pendant mon service militaire aux frais de la princesse, m’a permis de mettre de l’ordre dans mes idées et de reprendre la vie du bon pied.
Il en est de ces choses comme de la natation, elles ne sont pas innées et ne s’acquièrent que par une pratique patiente et régulière – moyennement quoi je suis maintenant aussi bien à l’aise avec quelqu’un de bordélique qu’avec un champion de l’organisation, en prenant de chacun ce qu’il y a d’intéressant et en n’ayant pas de remords à l’envoyer paître lorsque le désordre devient catastrophique ou que l’ordre déviant paralyse.
Notre communauté, sur ce chapitre est assez bien dotée en personnalités variées, qui, si elles font le chemin nécessaire pour se rendre la vie supportable, seront des compléments très salutaires. Les appels des uns à la méthode répondront aux sollicitations des autres à l’improvisation, sans pour cela faire de drame.
L’essentiel, je pense, est de garder un équilibre supportable par tous entre les aspects positifs et négatifs de nos tempéraments. Plus précisément, s’il y a des efforts à faire, ce sera de privilégier le rôle de nos interventions positives qui seront pour les uns de proposer des activités nouvelles, de se désinstaller des routines, de rechercher plus de communication et de partage, pour les autres de rappeller une certaine discipline, une certaine prévoyance et aussi de la prudence, selon sa sensibilité propre et son degré d’anxiété, et aussi selon des capacités d’improvisation, d’analyse etc. …
Pour préciser encore plus, j’ajouterai que ces efforts positifs ont un double effet: ils installent un climat de relations complémentaires moins conflictuel que des heurts qui surviennent à l’occasion des aspects négatifs, et tendent à la fois à faire admettre la diversité des tempéraments, goûts etc., mais aussi à minimiser les désagréments de ces mêmes tempéraments: on a accepte mieux d’un artiste qu’il soit bohème, car cela fait parti de son univers créateur, on l’acceptera moins de l’ingénieur et encore moins du comptable.
Il faut aussi parler des aspects négatifs à combattre en se disant qu’il ne faut surtout pas s’obnubiler sur eux: ils doivent disparaître par surcroit et non pas d’abord. C’est comme si l’on demandait à l’eau d’être chaude avant d’y avoir fait quelques brasses. L’agrément de voir ses défauts s’estomper ne succède pas à un effort tendu pour les combattre mais plutôt à une activité nouvelle, qui canalise l’énergie ou le manque d’énergie de ce défaut pour le transfigurer en un comportement socialement accepté – c’est un chapitre que tu dois connaître mieux que moi. Il faut maintenant que nous le vivons, et l’information devra travailler pour que nous trouvions les modes de vie (modus vivendi) qui s’harmoniseront. Penses-tu que nous pourrions poser ainsi le problème, progressant dans la connaissance de nos difficultés, et la reconnaissance de nos différences.
On pourrait ainsi se demander: différents au départ, que cherchons nous à faire ensemble? Quels efforts sommes-nous sincèrement prêts à faire non seulement au plan des intentions mais aussi quels efforts pensons-nous raisonablement pouvoir soutenir sans forcer, sans chercher à nous surpasser, mais parce que nous nous y sentons préparés, nous avons “la forme” pour les affronter avec des bonnes chances de succès.
Je préfère personnellement limiter mes ambitions pour ne pas avoir à essuyer d’échec décourageant (et Dieu sait combien les édifices humains sont difficiles à reconstruire après qu’ils se sont écroulés). Nous sommes encore des briques à assembler, qui se trouvent sur le même chantier. A nous de penser l’édifice pour qu’il se tienne, et de ne pas commencer par le toit sans assurer les fondations.
Il me semble que nous sommes lancés dans une entreprise à la limite de nos forces. Mesurons la tâche pour n’en prendre chaque jour que la peine qui lui convient.
Te coller sur le dos la responsabilité des travaux sur le collectif / et la ferme / des délais pour l’école est écrasant et injuste. Nous avons cru pouvoir mener à bien ce projet sans l’avoir estimé suffisamment dans tous les aspects. C’est encore un écueil de la responsabilité collective et c’est une conséquence directe de notre inexpérience. D’une certaine manière, tu t’es retrouvé employé au lieu d’être à ton compte, avec en plus des paris à tenir et des contraintes de prix qu’aucun entrepreneur n’ose d’affronter …
… nous n’avons pas encore assez l’habitude du travail collectif, je veux dire de l’organisation collective des tâches, sans leader, sans architecte, sans chef de chantier, sans promoteur …
… et tu devrais (seul) tout assurer pour que cela avance, avec chaque semaine le groupe qui te demandait le point.
Penses-tu à l’avenir être assez prudent pour ne pas laisser le groupe te coller tout sur le dos? C’est aussi ton rôle que de demander à l’un ou à l’autre un coup de main, ou de resituer tes responsabilités. Tu t’es laissé entrainer dans le cercle vicieux de l’effort insurmontable, que tu ne refusais pas en intention (de crainte de nous décevoir ou bien parce que tu surestimais tes limites?) et que les faits ont confirmé comme impossible à soutenir.
Mon effort consisterait plus à promettre moins que je ne réaliserai en fait – ceci revient en fait à reconnaître ses propres limites – pour éviter qu’elles ne gènent les autres – voilà quelques idées, telles qu’elles viennent à ma plume, au fur et à mesure.
Je m’arrète là pour dormir. J’espère que nous te reverrons bientôt.
J.
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(Mein kommentar heute, anfangs März 2012, aus der Erinnerung – Mein Gott, das alles vor 38 Jahren … und nichts hatte sich geändert:
- Ich selber war bei diesen kollektiven Debatten nie dabei, ich musste für das Familieneinkommen arbeiten: zuerst im staatlich bezahlten Schreiner-Anlernkurs, genannt Formation Professionnelle des Adults FPA, später in meinem eigenen, eiligst zusammengebastelten Land-Einfrauen-Schreineratelier … einer musste ja Geld verdienen. Erklärung: wir hatten nicht, wie andere, ein Geld-Rückgrat, welches uns erlaubt hätte, in aller Ruhe etwas Neues aufzubauen;
- mit heutigem Wissen erkennbar der erste Fehler: wir starteten mit Leuten, welche wir nicht kannten. Aber sie zu kennen hätte uns nicht viel genützt, weil wir von Gruppendynamik und dem ganzen heutigen sozialen Wissen keinen Schimmer hatten. Wir hätten nicht gewusst, auf was schauen;
- Somit ergab es sich, dass politisch hart links trainierte Mitglieder es schafften, die Mehrzahl der übrigen Naivlinge auf eine Ideologie einzuschwören, in dem die Mehrheit der Minderheit ihren Willen absolut aufzwängen durfte. Weil dieses Mehrheitsprinzip zuerst lange genug galt, hat J, der Autor obigen Briefes, kurz darauf entmutigt aufgegeben. Er und seine Familie verschwanden aus Sarnac;
- diese Mehrheit zwang unserer Familie auf, wir hätten für das Kollektiv zu arbeiten, weil wir nur für den Landkauf unseren Familienbeitrag beisteuerten, nicht aber Geld für den Aufbau. Dem hatten wir grundsätzlich zugestimmt, auch ich;
- Was unakzeptierbar wurde: der Stundenlohn für absolvierte Arbeit lag nicht einmal bei der Hälfte unter dem damaligen SMIG (garantiertem Mindestlohn). Doch, de facto wurden wir zu Billigst-Sklaven degradiert, wegen der vielen Arbeit auf Jahre hinaus;
- Einer vernünftigen Diskussion stand im Wege, dass der Leithammel der Hardliner sich mit JP überhaupt nicht vertrug und ihn einfach nur loswerden wollte, was er ausserhalb der Sitzungen auch zugab;
- das wäre alles auffangbar gewesen, wäre nicht eine Mehrzahl der übrigen Familien gewillt gewesen, diesem Leithammel-Vorbeter willig zu folgen, teils, weil sie JP ebenso nicht mochten, oder aber, weil sie einfach keine Kraft, Fähigkeit oder Willen aufbrachten, selber zu denken (achtung, das ist heute noch mit ein Grund für das Scheitern vieler Reformen);
- JP und ich sprengten diese Willkür mit einem einfachen Rezept: wir führten es ad absurdum, indem wir hart arbeiten, aber unsere Stunden nicht aufschrieben und erklärten: ‘wir sind sowiewo noch auf Jahre hinaus eure Sklaven’. Nach einer Woche hatte die Gruppe von selber den ganzen Unsinn eingesehen;
- Fazit: wenn unsere Linken, Progressiven, alle brav Angepassten Rebellen dieses Rezept anwenden würden, wäre schon einiges erreicht: das VOLK würde nicht nur etwas verstehen, wenn es ihm selber an den Kragen geht, sondern auch für andere Menschen zu einer nicht-kapitalistischen, eigentlich eine Nicht-Profiteuren-Einstellung sich durchringen … ja, ja, ich meine, inklusive all unserer linken Leader;
- kurz: in Sarnac ging es noch länger verrückt zu … die übrige Gruppe wollte uns einmal sogar gerichtlich hinauswerfen lassen … aber da hatten die übrigen Fast-Hippy-Gruppen der Ariège sich eingemischt und einen Stopp durchgesetzt;
- … um es kurz zu machen: heute ist JP der Platzhirsch und besitzt praktisch alles. Er war schlau genug gewesen, nach meinem Hinausmobben die richtig Frau zu heiraten, welche fast den ganzen Rest an Sarnac schon besass. Alles ist heute rechtlich gut bürgerlich gefestigt, man spielt Salonrevolutionär bei AKW- und anderen Demos … aber wahrscheinlich bin ich nur hässig, weil sich dieser menschliche Unsinn immer und überall witzlos erneut wiederholt: bei Reformen, Reförmchen, ja sogar bei Revolutiönchen wie gerade bei den Arabern … wenn die glauben, da würde sich was für sie ändern … nun, die meisten merken es immer erst später, so wie ich damals … ja doch, trotzdem, oder gerade deswegen, habe ich meinen Widerspruch respektive mein Dreinreden behalten).
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Sarnac um ca. 2007.
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Sommer 2011, fast der gleiche Abschnitt, von unten gesehen.
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Ziegenherde um 1977, am gleichen Hang.
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am 29.7.2012 aufgeladen: erstes Treffen von einigen Anfängern – GANZ AM ANFANG, im Sommer 1973 – wie es wirklich aussah. Bei diesem ersten Treffen war ich daheim geblieben – zum Brotverdienen.
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Link: l’ancien troupeau de chèvres à Sarnac (auch am gleichen Hang).